Mon frère Stéphane commence une deuxième saison comme paludier sur le marais salant de Guérande. Ce projet lui tient à coeur depuis quelques années. Il a l’opportunité cette année de bénéficier d’un fermage de douze oeillets. Depuis le début de l’année, il prépare les différents bassins à la cueillette du sel. Celle-ci a commencé au mois de mai et pourrait s’étendre jusqu’à mi-octobre, selon la météo.
Le site
Les marais salants de Guérande se situent en Loire-Atlantique au sud de la Bretagne, entre les embouchures de la Vilaine et de la Loire. Ils occupent actuellement 2000 hectares sur les communes de Guérande, Batz sur mer et la Turballe. Classé site Natura 2000 le marais bénéficie de plusieurs labels pour la richesse de son écosystème et de ses paysages.
Exploité depuis le Moyen-Age
L’exploitation des marais salants date du haut Moyen-Age. Les dernières salines ont été construites en 1800. L’exploitation du sel a été abandonnée au début du XIXè siècle, concurrencée par le sel de mine et le sel de la Méditerranée. La consommation du sel de conservation avait alors baissé. Après la seconde guerre mondiale, l’exploitation du marais salant a encore décliné, concurrencée par une offre d’emploi sans précédent par les chantiers navals de Saint-Nazaire ou dans le tourisme. Un projet d’expansion de la zone touristique de La Baule menace le marais ainsi que les Salins du Midi qui tentent de contrôler le territoire.
Coopération et écologie
Un mouvement de résistance de la population s’installe pour préserver le site. En 1971, les pouvoirs publics reconnaissent l’intérêt de préserver l’exploitation traditionnelle du sel. Un groupement foncier agricole ainsi qu’un groupement de producteurs se créent alors. Des actions mènent à la reconnaissance du site comme zone naturelle à protéger et une filière économique structurée et solidaire se constitue. En 1988, le groupement de producteurs devient la coopérative Les Salines de Guérande, à laquelle mon frère appartient. Le marais est presque entièrement exploité, de manière écologique et totalement artisanale.
La saline : un système ingénieux
Le traict du Croisic, bras de mer qui entre dans le marais, alimente en eau de mer les étiers, canaux qui desservent le marais. La vasière est le premier bassin où arrive l’eau de mer et constitue la réserve dans laquelle on garde l’eau de mer entre deux marées de vives eaux (coefficient supérieur à 80), à deux semaines d’intervalle. L’eau s’écoule dans les différents bassins de chauffe et de décantation qui se succèdent selon une légère pente; par évaporation la salinité de l’eau augmente progressivement. Lorsque la salinité atteint 280 g/l la cristallisation se produit. Le sel peut désormais être récolté dans les oeillets. Chaque jour, pendant la période de saunaison, les paludiers vérifient l’alimentation en eau des oeillets.
L’étier Les bassins de chauffe
La récolte du gros sel
La récolte du gros sel se fait tôt le matin et en fin de journée. Le paludier ramène d’abord délicatement le sel des bords de l’oeillet vers son centre, à l’aide du las. Puis sur la ladure où il stocke la récolte quotidienne du sel. Le paludier transporte ensuite le sel en bordure de saline pour constituer le mulon. Celui-ci rassemble la récolte réalisée pendant la saison. L’épaisseur d’eau contenue dans la saline doit être suffisante pour laver le gros sel sans racler le fond argileux de l’oeillet.
La cueillette de la fleur de sel
La fleur de sel est un sel de cristallisation rapide qui apparaît en fin de journée, en surface de l’eau contenue dans l’oeillet. En soirée, à l’aide de la lousse, le paludier « cueille » la fine couche de fleur de sel. Là aussi l’opération est délicate : le paludier doit éviter de toucher le fond argileux du bassin afin de garantir une fleur de sel la plus propre possible. Le stockage de la cueillette se fait dans un bac d’où la fleur de sel s’égoutte. Le lavage à l’eau puis le tri permettent de retirer le maximum d’impuretés. Celles-ci nuiraient à la qualité de la production.
Paludier : une passion
Dès la fin de l’hiver les artisans du marais salant curent les bassins, reconstituent les ponts d’argile qui séparent les différents bassins. En double-activité, Stéphane exerce son activité de paludier. Tôt le matin et tard le soir, pendant toute la saison estivale et au rythme imposé par la météo, il s’active sur le marais. Ce dimanche il a su, accompagné de Marie, transmettre avec passion l’amour de ce métier entièrement artisanal. Les gestes techniques et délicats sont l’héritage d’un savoir-faire ancestral. Tardivement nous quittons le marais, laissant Stéphane poursuivre sa récolte jusqu’à la tombée de la nuit, alors que les moustiques envahissent les lieux. Demain il sera à nouveau là, aux aurores …
Merci Sophie pour ce très bon billet. J’ai appris grâce à toi énormément sur un métier rare. Que de technique et l’amour du travail bien fait qui rythme le quotidien de ton frère. Je regarderai bien différemment le sel qui est dans mon moulin Peugeot en pensant aux paludiers. A bientôt.
Bonjour Sophie
Quel magnifique article bien écrit et documenté par de jolies photographies
Une seule fois j’ai eu l’occasion de voir des marais salants (furtivement …), c’était lors d’une promenade en vélo à l’ïle de Ré
Depuis j’ai toujours caressé le rêve de pouvoir les voir plus longuement et admirer le travail des palétuviers